E-Commerce : Spécifique ou générique
E-Commerce : Spécifique ou générique ? 4 questions clés à se poser pour faire les bons choix
Les stratégies e-Commerce ont pour caractéristique d’évoluer très rapidement, surtout dans une optique internationale. S’il faut aller vite, la phase amont d’un projet de site e-Commerce doit être l’occasion d’un questionnement approfondi sur l’objectif et les moyens de l’atteindre. Dans cette réflexion, l’arbitrage entre développements spécifiques et fonctionnalités génériques est déterminant pour l’exploitabilité, l’évolutivité et la performance commerciale du futur site. S’il n’y a pas de réponse toute faite, se poser les bonnes questions dès le début permet d’éviter des choix dommageables.
Si, pendant des années, bon nombre de projets e-Commerce étaient imaginés sur-mesure de bout en bout, l’offre de plates-formes techniques pré-packagées fait réfléchir beaucoup d’acteurs sur la façon d’aborder la gestion de leur site. Et l’impact en termes d’investissement humain et financier n’est pas des moindres. C’est pourquoi les projets e-Commerce sont très vite confrontés à la nécessité d’arbitrer entre généricité et spécificité, parfois même avant la rédaction d’un cahier des charges. Bien entendu, la plupart des marques souhaitent légitimement affirmer en ligne leurs différences et leurs spécificités. Elles veulent un site e-Commerce qui forme leur ADN, leur USP* ou le caractère particulièrement attractif de leur offre. Cette aspiration plaide a priori pour la réalisation d’un site dont il faudra développer la plupart des fonctionnalités dans une approche « Taylor made », aucun socle ou plate-forme e-Commerce n’étant à même de répondre à tous les besoins spécifiques d’un projet donné. Mais faire le choix du « tout spécifique » ou du « trop spécifique », c’est inévitablement s’exposer à des délais plus longs et à des coûts directs et indirects plus élevés, pour un résultat difficile à garantir. Pour autant, la plupart des fonctionnalités réellement utiles sur ce type de plate-forme existent dans au moins une solution packagée, sous une forme « plug & play » ou une forme « customisable ».
Il parait donc judicieux d’étudier de près les fonctionnalités génériques proposées par les plates-formes e-Commerce et de les confronter aux besoins recensés pour effectuer les bons arbitrages. Une approche de type « Gap analysis » permettra de mettre en regard les besoins fonctionnels hégémoniques et la valeur des réponses génériques qu’apporte la plate-forme. Selon les cas, l’entreprise s’apercevra qu’il peut être préférable de choisir le générique, quitte à ne répondre qu’à 80% du besoin ou, au contraire, que le choix du spécifique s’impose parce qu’il est impératif de répondre à 100% du besoin.
NE PAS LIMITER LE CHAMP DES POSSIBLES
La difficulté de l’exercice tient au fait que les besoins sont, à ce stade d’un projet d’e-Commerce, largement théoriques : nombre d’entreprises se sont aperçues au bout d’un ou deux ans d’exploitation que seulement 50% des fonctionnalités spécifiques développées pour leur site sont effectivement utilisées. Malgré l’imprévisibilité d’une partie des usages, la réflexion doit être prospective et large : il est indispensable, cela va de soi, d’anticiper les extensions de catalogue, de périmètre géographique, l’ajout de nouvelles langues, etc. et de faire entrer ces questions dans l’analyse initiale de ce que l’on va choisir de développer (spécifique) ou simplement de paramétrer (générique).
En outre les besoins fonctionnels évoluent rapidement : au moment de la création de son site e-Commerce, l’entreprise peut, par exemple, considérer qu’elle n’a pas besoin de fonctionnalités pour gérer les promotions parce que cela ne fait pas partie de sa stratégie commerciale. Ce qui est vrai aujourd’hui peut très bien ne plus l’être dans six mois ou un an et, selon les choix de départ, il sera plus ou moins difficile et onéreux d’incorporer ces fonctionnalités après-coup. Sur une plate-forme standard, il suffira généralement d’activer et paramétrer un module. Dans un environnement spécifique, il faudra spécifier, développer et intégrer, solution toujours plus coûteuse à mettre en œuvre et à maintenir.
L’EPREUVE DU DEPLOIEMENT A L’INTERNATIONAL
Les arbitrages entre spécifique et générique ont tendance à ressurgir de manière encore plus forte et problématique lorsque l’on entre dans les aspects concrets du déploiement d’un site e-Commerce à l’international. De multiples scénarios sont possibles. En voici quelques exemples courants :
- Je souhaite déployer un site sur plusieurs pays en différentes langues, voire sur un seul pays mais avec plusieurs langues (aux USA, 80% de la population parle l’anglais contre plus de 10% l’espagnol).
- Je veux positionner ma marque sur plusieurs marchés, par exemple dans un pays européen mais aussi, aux USA ou en Asie.
- Je souhaite créer un « socle » multi-marques me permettant de répondre aux problématiques de multi-marchés.
- L’erreur, beaucoup plus répandue qu’on le croit, est de penser qu’il est possible de créer un site e-Commerce à la fois universel et efficace. Si l’on vise une efficacité commerciale maximale sous toutes les latitudes, traduire le site dans la langue de chacun des pays cibles est loin d’être suffisant et peut au contraire se révéler contre-performant.
Aussi mondial que soit le Web, les spécificités locales restent prégnantes et l’approche culturelle du Web varie considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, les japonais et les chinois apprécient la concentration du plus grand nombre d’informations sur la page d’accueil, ce qui n’est pas le cas des européens. Voici une liste non exhaustive de spécificités qu’un projet e-Commerce à déploiement international doit prendre en compte :
Contraintes réglementaires : par exemple, loi Châtel en France, fréquence de changement de taxes aux USA selon les types de produits et les États…
Préférences clients : paiement par virement bancaire en Allemagne, « cash delivery » en Chine, choix du montant et du nombre de prélèvements au Brésil…
Tiers de confiance, « fraud scoring »…
- Coutumes et usages : la civilité n’est pas demandée en Asie, au Japon les noms et prénoms s’écrivent en kanji et en katakana (ce qui impose de prévoir deux champs noms)…
- Spécificités de langues telles que jeux de caractères, typographie des polices, taille des textes, sens d’écriture…
- Spécificités de marchés, structurations différentes des catalogues, modèles de distribution différents B2C/B2B2C/B2B
S’y ajoutent les différences induites par la présence de l’entreprise ou de la marque dans chaque pays considéré : ERP, systèmes comptables et organisations différents… Tout cela est à prendre en compte si l’on veut obtenir une vision consolidée des résultats par pays, par marque, par produit… au sein de la plate-forme e-Commerce. Les contraintes de production – à savoir les temps d’accès par zone géographique (CDN, besoin de synchronisation), fenêtre d’exploitation courante/réduite (jours ouvrés, 24/7…) – imposent également d’anticiper les impacts d’un déploiement pays sur un autre pays si l’on veut éviter les risques de régression et d’interruption de services.
IMPACTS SUR L’ARCHITECTURE ET LES SOLUTIONS APPLICATIVES
Plus tôt on détermine où placer le curseur entre généricité et spécialisation, plus il est facile de mettre en place une architecture évolutive permettant de répondre aux besoins actuels et à venir. Le choix d’une plate-forme e-Commerce ne préjuge pas de l’architecture technique qu’on choisira. Le critère central ici est d’avoir une architecture évolutive, permettant d’ajouter ou enlever des serveurs rapidement pour faire face à la variabilité de la charge (en particulier pendant les pics d’affluence).
Une fois ces besoins clairement identifiés et les réponses connues, quid des solutions applicatives ? Là encore, les possibilités sont multiples. Typiquement, on peut utiliser un socle e-Commerce soit pour un seul pays et une seule langue, soit pour plusieurs pays et plusieurs langues. Dans ce deuxième cas, on fait appel soit à un seul catalogue, soit à un catalogue par pays et par langue. Ces choix appellent de nouveaux arbitrages. Par exemple, si je développe une fonctionnalité pour un pays, est-ce que je la développe pour ce seul pays ou est-ce que je la développe de manière à pouvoir la mettre à disposition des autres pays ? En d’autres termes, est-ce que je rends mon développement spécifique « généricable », ce qui laisse à chaque pays la possibilité de l’utiliser ou non.
NE PAS SE TROMPER D’EQUIPE PROJET
Ces quelques éclairages montrent à quel point la phase de spécification d’un projet e-Commerce détermine l’exploitabilité, l’évolutivité et la performance futures du site. La diversité des dimensions à aborder rend indispensable de mettre autour de la table toutes les compétences requises. S’il est pertinent et légitime que les projets e-Commerce soient pilotés par le Marketing, il faut que les responsables s’entourent d’experts techniques et de personnes ayant l’expérience de ce type de projets mais surtout la connaissance des différents marchés, pays et cultures pour éviter des erreurs préjudiciables. Trop souvent encore, les entreprises confient ces projets à des collaborateurs manquant d’expérience en e-Commerce, voire trop juniors, en pensant que la « Génération Y » sait tout du Web et de l’e-Commerce.
Sans préjuger ici de leurs compétences individuelles, il nous paraît important de souligner l’importance de maîtriser les arcanes conceptuelles et techniques liées à un projet de ce type, qui va bien au-delà d’un classique dispositif Internet.
Ainsi, le sujet nécessite d’anticiper l’intervention de compétences fonctionnelles et techniques, certes, mais également de designers d’interactions (UX* designers) pour optimiser les parcours clients et d’experts en e-Marketing (SEO, Web Analyse, e-CRM) pour faciliter le recrutement, la génération de trafic et l’évolution de la plate-forme.
Les enjeux d’un site e-Commerce sont des enjeux business. Les investissements sont considérables. Mettre en place une équipe projet mature et experte, en interne ou via un prestataire, est l’une des conditions à ne pas négliger si l’on veut vraiment atteindre l’objectif dans les délais et sans déraper sur les coûts.
Au final, expérience, anticipation, « teamplay » et vision internationale pourraient faire la différence, mais comme pour tout projet digital, le bon sens est un vrai plus…
A propos des auteurs
Stephan Samouilhan est General Manager e-Commerce chez Keyrus. Avec 15 années d’expérience, il a la responsabilité de gérer l’ensemble des activités e-Commerce du Groupe en France et à l’international. En cultivant une proximité quotidienne avec les clients du Groupe et les principaux acteurs e-Commerce du marché, Stephan permet ainsi, par une action réfléchie et pragmatique, la mise en place d’organisations et de solutions e-Commerce rapidement créatrices de valeur.
Christophe Lannezval est Directeur Conseil expert e-Commerce au sein de l’agence digitale du Groupe Keyrus. Avec 15 années d’expérience dans le digital, il s’est notamment illustré dans le secteur du Luxe en déployant le e-Commerce dans de grands groupes en France et à l’étranger. Ses missions l’ont amené à travailler sur des refontes des processus métiers et à imaginer avec ses équipes des tunnels d’achat toujours plus performants, dans une logique d’amélioration continue.